Prison

Message de Karen Tse – Fondatrice et présidente d'IBJ

Il n’y a pas si longtemps, en tant qu’avocate travaillant pour les Nations Unies, j’ai fait l’expérience d’un changement spectaculaire dans ma perception de l’approche du droit international des droits de l’homme et des problèmes concernant les détenus et les prisonniers. Je me souviens regarder à travers les barreaux d’une cellule au Cambodge et parler avec un jeune garçon détenu et torturé par la police, qui croupissait en prison, désorienté et effrayé par ce qui allait – ou pourrait – se passer. Comme la plupart des prisonniers au Cambodge, il n’avait pas d’avocat ou de défenseur des droits de l’homme pour protéger ses droits, et aucun procès n’était en cours pour décider de sa culpabilité ou de son innocence. Cela m’a ramenée dix ans auparavant, lorsque mes collègues organisaient des campagnes d’écriture de lettres pour les prisonniers politiques. Nous demandions qu’ils ne soient pas torturés et que les droits à un procès équitable et dans un délai raisonnable leur soient accordés. Mais quand je me suis trouvée en face de ce jeune garçon, j’ai réalisé que ni moi, ni mes camarades étudiants n’auraient écrit une lettre pour lui. Il n’était pas un prisonnier politique, il était juste un garçon de douze ans sans importance, dont le comportement délictueux – essayer de voler une bicyclette – l’avait conduit dans cette situation difficile.

La rencontre de Karen Tse’s avec Vishna et sa mère en prison (ci-dessus) a inspiré la création d’IBJ.

Les gardiens de prison étaient suffisamment sympathiques, et n’ont pas paru trop préoccupés par le fait que je parlais à ce jeune garçon qui portait des signes évidents de coups. Ils n’avaient d’ailleurs pas grand-chose à cacher : l’utilisation de la force pour extorquer des aveux faisait seulement partie des procédés habituels de la police. En regardant le visage du garçon, je me suis demandée où nous avions pu prendre le mauvais chemin. Je me suis demandée pourquoi ses intérêts, ceux d’un « banal » prisonnier « non méritant », n’étaient pas inclus dans le programme de ma « mission ».

Peut être qu’il y a dix ans, nous n’aurions pu faire que très peu pour ce garçon. Toutefois, depuis lors, des gouvernements partout en Asie, y compris au Cambodge, au Vietnam et en Chine, ont adopté de nouvelles lois interdisant la torture et garantissant les droits fondamentaux des citoyens, dont leur droit à une défense. C’était précisément parce que ce garçon n’était pas un prisonnier politique, mais une personne sans intérêt pour le gouvernement, qu’il aurait facilement pu être le bénéficiaire d’une attention internationale ciblée. Des citoyens comme lui sont sans importance pour les gouvernements et le déni de leurs droits fondamentaux a moins trait à la politique actuelle qu’aux vestiges d’un vieux système juridique qui tolérait auparavant, voire même excusait, ce déni de droits. Dans le visage du jeune garçon, je reconnaissais les milliers de personnes comme lui, pas seulement au Cambodge mais aussi dans des pays comme la Chine et le Vietnam, qui seraient les premiers bénéficiaires d’un système de justice pénale respectant les normes des droits fondamentaux. En aidant ces pays à mettre en œuvre leur propre droit national en conformité avec les principes des droits de l’homme et à protéger les droits des prisonniers, nous avons l’opportunité d’améliorer radicalement, et peut être même de sauver, les vies des citoyens ordinaires.

Vishna, un garçon de quatre ans qui est né et qui a vécu dans une prison cambodgienne, est mon héro favoris. Parce qu’il y a vécu toute sa vie, les gardiens se sont particulièrement attachés à lui, et lui laissaient quartier libre dans la prison. Il était suffisamment petit pour se glisser à travers les barreaux. Lorsque je l’ai rencontré pourtant, il grandissait et ne pouvait plus passer à travers les barreaux inférieurs. Mais il pouvait toujours grimper jusqu’à la troisième barre, qui offrait un espace légèrement plus grand, tourner lentement sa tête sur le côté, puis trouver un moyen de passer de justesse de l’autre côté. Tous les jours où je suis allée à la prison, il recommençait le même processus afin de sortir en courant vers moi. Puis il prenait ma main et allait avec moi voir chaque cellule de prison. A chacune des 156 cellules, il tendait sa petite main, ou son doigt, pour rentrer en contact avec un prisonnier. Il était la plus grande source de joie pour plupart d’entre eux.

Je pense souvent à Vishna. Un garçon né en prison, sans confort matériel ou physique. Mais un garçon qui voulait vivre sa propre aventure héroïque et son désir de donner une partie de sa vie pour quelque chose qui le dépassait. Je pense aux contributions qu’il a apportées aux vies malheureuses des prisonniers, à un niveau individuel en tendant sa main tant de fois, et aussi aux contributions qu’il a apportées aux droits de l’homme à travers moi, car il m’a souvent donné de la force quand je n’étais plus sûre de savoir pourquoi je devais continuer. Cet esprit héroïque et ce voyage pour atteindre l’autre côté des barreaux de l’injustice sont ouverts pour nous tous.

Rejoignez Vishna dans son voyage héroïque et participons-y ensemble.

La mission d’IBJ est une mission d’espoir et de croyance en l’esprit de chaque être humain, partout, et dans n’importe quelle circonstance.

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